Les enseignants consacrent environ 44 % de leur temps aux filles, contre 56 % aux garçons, selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
INTERVIEW - Selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la mixité à l'école engendre des inégalités entre garçons et filles. La sociologue à l'origine du rapport, Marie Duru-Bellat, explique ce phénomène.
Vous révélez dans votre étude que les enseignants consacrent environ 44 % de leur temps aux filles, contre 56 % aux garçons. Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?
Marie DURU-BELLAT - L'une des principales raisons est que les élèves garçons prennent davantage la parole, font plus de chahut dans une classe. Les professeurs, soucieux de ne pas se laisser déborder, sont donc très attentifs à leur comportement. Les filles leur posent en général moins de problème. Les enseignants estiment également que les garçons vont mieux réussir dans les disciplines dites «masculines», comme les mathématiques, la physique, etc. Ils vont donc avoir tendance à les pousser et à passer plus de temps avec eux sur ces questions, au détriment des filles. Ils notent aussi du coup les garçons plus sévèrement.
Comment se matérialisent ces différences de traitement ?
Les professeurs consacrent en général plus de temps aux garçons. Ils leur donnent davantage la parole qu'aux filles et les laissent ensuite s'exprimer plus longtemps. L'enseignant prendra également plus de temps pour répondre aux questions des élèves masculins qu'à celles de leurs voisines. Les garçons reçoivent donc un enseignement plus personnalisé, alors que les filles sont davantage perçues et traitées comme un groupe. Le fait qu'un enseignant connaissent en général mieux le prénom des garçons est d'ailleurs assez révélateur des ces différenciations entre les deux sexes.
Les enseignants sont-ils conscients de leur comportement ?
Ils sont pour la plupart incrédules quand on pointe du doigt ces différences car tous, les hommes comme les femmes, s'efforcent de traiter équitablement les deux sexes. Mais l'école est le reflet de la société et il n'est donc pas étonnant d'y retrouver cette différenciation. Les professeurs ne sont toutefois pas les seuls responsables de cette situation. S'ils essayent de s'occuper davantage des filles, ils se font vite rappeler à l'ordre par le comportement des garçons.
Qu'en est-il de la réaction des élèves face à ces différenciations ?
Ils participent eux aussi à ce système puisqu'ils arrivent souvent à l'école avec des représentations en tête : la lecture est ainsi associée aux filles et les mathématiques aux garçons. La société les influence très clairement. Une élève bonne en maths va souvent craindre par exemple d'être considérée comme peu féminine. Et un garçon qui apprécie la littérature va redouter la réaction de ses camarades. Les élèves disent ainsi se sentir souvent plus à l'aise dans un groupe non-mixte, les filles particulièrement. Ces dernières sont contentes de ne plus subir les moqueries de leurs camarades. Les garçons, toutefois, ressentent alors une compétition exacerbée entre eux. Les enseignants disent d'ailleurs souvent que les filles polissent les garçons.
Quelles sont les conséquences sur la scolarité des adolescents ?
Cette différenciation joue beaucoup sur l'attitude des élèves. Le fait que les enseignants en attendent plus des garçons dans les matières scientifiques n'est notamment pas sans incidence sur la confiance en soi des élèves. A partir de l'adolescence, les filles de bon niveau en maths font par exemple preuve d'une confiance en elle systématiquement plus faible que les garçons de niveau identique. La différence de traitement influe aussi sur les orientations des élèves. Les filles, moins poussées par leurs professeurs en sciences, choisiront peut-être une filière littéraire alors qu'elles auraient pu faire de très bonnes scientifiques.
Faut-il pour autant revenir à la non-mixité dans les écoles ?
Je pense qu'on peut réfléchir à cette notion, notamment selon les matières où cela pourrait avoir un sens : dans les cours de sports par exemple où les garçons se moquent souvent des filles ou dans les cours de biologie ou ils s'emparent de tous les microscopes. C'est un débat qui doit être ouvert au sein même des classes. On pourrait envisager de phases de non-mixité brèves au sein de l'emploi du temps des élèves avant de les ramener vers un univers où filles et garçons sont mélangés. Un retour frontal et proclamé à la non-mixité n'est en revanche pas envisageable car il aurait une connotation symbolique désastreuse.
Je suis d'accord!
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